Qu'est-ce que l'éco-sexe ?

La définition du terme « éco-sexe » est multiple et tend à varier en fonction de la personne qui l'emploie. D'un point de vue sociologique, un éco-sexuel est un individu qui aspire à concilier vie amoureuse et attitude écologique, aussi bien sur le plan des relations amoureuses que sexuelles.

D'après Amanda Morgan, professeure à l'université du Nevada, l'éco-sexualité peut être mesurée en utilisant une échelle similaire à celle de Kinsey, qui évalue l'orientation sexuelle selon différents grades allant de 0, i.e. exclusivement hétérosexuel, à 6, i.e. exclusivement homosexuel.



L'échelle de Kinsey, sur laquelle on pourrait calquer l'orientation éco-sexuelle

A une extrémité de l'échelle éco-sexuelle se trouveraient les personnes adeptes des randonnées nudistes, des bains de minuit ou des objets sexuels écolos (préservatifs en latex bio, lingerie fabriquée à partir de coton bio...) ; à l'autre extrémité, on retrouverait ceux qui se masturbent sous une chute d’eau, qui ont des rapports sexuels avec des arbres ou qui se roulent dans la terre à des fins orgasmiques.

L'éco-sexualité est donc un très vaste concept qui regroupe des situations variées et plus ou moins extrêmes.

Apparu au début des années 2000 dans les profils des sites de rencontre, le terme « éco-sexualité » s'est rapidement développé à travers le monde, si bien qu'en 2017 plus de 100 000 personnes se considèrent « éco-sexuelles », d'après le magazine Outside. Cette percée fulgurante est en majeure partie due à Elizabeth Stephens et Annie Sprinkle, artistes et militantes de la région de la baie de San Francisco, qui ont fait de l'éco-sexualité leur cheval de bataille. 


Elizabeth Stephens et Annie Sprinkle

Elles ont notamment élaboré et publié un manifeste de l'éco-sexualité, dans lequel elles revendiquent la création d'une relation plus durable et réciproque entre l'environnement et les humains en « faisant l'amour » à la Terre : de façon littérale, en parlant érotiquement aux plantes, en caressant les éléments minéraux qui nous entourent, en étreignant les arbres ; ou de façon figurée, en recyclant les déchets, en étant pacifique ou en protégeant l'environnement. Elles ont également produit plusieurs long-métrages, dont le documentaire Goodbye Gauley Mountain: An Ecosexual Love Story, et une pièce de théâtre, Dirty Sexecology: 25 Ways to Make Love to the Earth, performance lors de laquelle elles sont allées jusqu'à célébrer des mariages entre des êtres humains et des éléments de la nature ; certains éco-sexuels se sont ainsi vus épouser la Terre, la Lune ou encore un arbre.


Annie Sprinkle lors de l'une de ses performances au festival Souterrain porte VII (Maxéville, 2013).

L'éco-sexualité est aujourd'hui revendiquée en tant qu'identité sexuelle à part entière par une partie de ses pratiquants. Annie Sprinkle et Elizabeth Stephens ont d'ailleurs milité, lors de la parade de la fierté de 2015 à San Francisco, pour l'ajout officiel d'un –E (pour éco-sexuel) à l'acronyme LGBTQI (Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer, Questioning and Intersex). La relation qui connecte les êtres humains à la Terre est au cœur de cette nouvelle identité sexuelle, qui se veut intégrer, de façon novatrice, la notion d'environnementalisme au sein même des conceptions amoureuses, érotiques et sexuelles de l'espèce humaine.

D'après Annie Sprinkle, « l'éco-sexualité signifie que vous trouvez la Terre érotique et que vous la traitez comme un objet d'amour, plutôt que comme une ressource exploitable à l'infini. Beaucoup de gens imaginent la Terre comme une mère dont on peut téter indéfiniment le sein, et n'arrivent pas à dépasser ce stéréotype. C'est pour cette raison qu'il nous semble important de transformer cette métaphore de "mère" en "amant". Et lui rendre l'amour qu'elle nous donne. »

Enfin, en plus d'être un mouvement social, l'éco-sexualité s'est également construite en tant que composante artistique. A Sydney, dans le cadre du festival d'art expérimental Sydney LiveWorks, Loren Kronemyer et Ian Sinclair de Pony Express ont mis au point l'Ecosexual Bathhouse, une installation interactive intégrant divers éléments des arts médiatiques et des arts vivants qui immerge les visiteurs dans différentes réalités participatives dédiées à l'érotisme environnemental et à l'éco-sexualité.

Les deux artistes considèrent leur œuvre comme étant un événement spectaculaire dont le but est de faire tomber les barrières entre les espèces, de permettre aux participants de tester les frontières de l'évolution des espèces et de l'inhibition, et ainsi de lutter contre la descente de l'espèce humaine vers l'extinction, qui selon eux est le résultat de la crise environnementale et climatique internationale actuelle. 


Des participantes de l'installation Ecosexual Bathhouse

Qu'on la trouve loufoque dans certains de ses extrêmes ou totalement attrayante, l'éco-sexualité ne laisse pas de marbre. Elle nous invite à repenser la relation que nous entretenons avec la nature dans nos organisations sociales et sexuelles, ainsi que la façon dont nous traitons la Terre et consommons ses ressources.    


Florian Payen


Pour aller plus loin :

L'article « Annie Sprinkle, un cas d'écolo-sexe » de Marie Lechner, Libération, 25/09/2013 : http://next.liberation.fr/arts/2013/09/25/annie-sprinkle-un-cas-d-ecolo-sexe_934661.

L'article « Eco-sexe : comment faire rimer amour et environnement ? » de Peggy Frey, Madame Le Figaro, 09/06/2011 : http://madame.lefigaro.fr/societe/faites-lamour-pas-guerre-planete-090611-162330.

Le livre Eco-Sex: Go Green Between the Sheets and Make Your Love Life Sustainable de Stefanie Iris Weiss, 2010, Ten Speed Press, Berkeley (California).

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