L'iceberg
Le 12 juillet 2017, un iceberg de 5 800 km2 et de mille milliards de tonnes, baptisé « A68 », s’est détaché de l’Antarctique. Depuis novembre 2011, une faille géante progressait sur l’une des barrières de glace flottantes du continent, appelée Larsen, et a fini par complètement la découper. Les barrières de glace (ice shelves en anglais) sont des plates-formes de glace continentale flottant sur la mer qui retiennent la glace posée sur le continent et l’empêchent de fondre. Elles jouent ainsi un rôle crucial, parmi d'autres, dans la stabilité de la calotte glaciaire.
La progression de la faille dans la barrière de glace Larsen C depuis novembre 2010.
MIDAS Project / Adrian Luckman, Swansea University
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Les médias se sont emparés de ces images dramatiques et ont principalement insisté sur la taille de l’iceberg, qui ne peut qu’impressionner parce qu’il est difficile de se la représenter. Les articles et reportages ne manquent d’ailleurs pas de comparaison : de la taille du département du Gard, grand comme 55 fois Paris, plus haut que la Tour Eiffel, « le troisième plus gros iceberg observé depuis que l'on a des observations satellitaires régulières » (et non le premier, contrairement à ce qu’affirme le reportage de France 3...)
Alors que le discours des scientifiques nuançait la gravité de l’événement (un phénomène naturel, rare mais pas exceptionnel, probablement amplifié par les changements climatiques, sans risque de montée du niveau des eaux puisque l’iceberg flotte et, en fondant, il augmente peu la quantité d’eau...), nombre d’articles et la lecture de Twitter donnaient quant à eux l’impression que c’était un événement grave et exceptionnel (en insistant sur la spectacularité de la taille de l’iceberg).
A mes yeux, le traitement de cet événement illustre un décalage entre l’analyse scientifique et le discours médiatique sur les changements climatiques. Le ton journalistique s'accommode difficilement de l’incertitude, de l’échelle de temps et des nuances des scientifiques : la taille de l’iceberg est donc passée avant leur analyse.
Le journaliste est en fait un traducteur de concepts scientifiques et, lors du processus de traduction, les critères et les valeurs journalistiques peuvent l’emporter sur la méthode et la rigueur scientifique. La complexité du sujet et de ses enjeux et la transdisciplinarité inévitable (sciences, politique, économie, relations internationales, etc.) peuvent également rendre la contextualisation et la synthèse difficiles pour des journalistes non-spécialisés.
Le journaliste est en fait un traducteur de concepts scientifiques et, lors du processus de traduction, les critères et les valeurs journalistiques peuvent l’emporter sur la méthode et la rigueur scientifique. La complexité du sujet et de ses enjeux et la transdisciplinarité inévitable (sciences, politique, économie, relations internationales, etc.) peuvent également rendre la contextualisation et la synthèse difficiles pour des journalistes non-spécialisés.
Aujourd’hui, que reste-t-il de cet événement ? Le souvenir en a fondu bien plus vite que les glaces polaires face au changement climatique. La quête médiatique du buzz et du spectaculaire semble faire obstacle au temps long et donc à une prise de conscience plus durable, au-delà du choc, menant à une réelle compréhension des phénomènes à l’œuvre.
Or, les médias étant la source la plus importante (voire la seule) d’informations sur l’environnement pour la grande majorité des citoyens, leur rôle (traduction et pédagogie) est primordial. Cela dit, nous sommes aujourd'hui bien loin des articles qui donnaient un porte-voix aux climato-sceptiques. Et les progrès ne s’arrêtent pas là ! En 2016, l’École supérieure de journalisme de Lille et l’Institut Pierre Simon Laplace (qui regroupe les principaux laboratoires français travaillant sur le changement climatique) ont ainsi lancé un MOOC sur le traitement journalistique de l’adaptation à la montée du niveau des mers.
Maud Vandoolaeghe
Or, les médias étant la source la plus importante (voire la seule) d’informations sur l’environnement pour la grande majorité des citoyens, leur rôle (traduction et pédagogie) est primordial. Cela dit, nous sommes aujourd'hui bien loin des articles qui donnaient un porte-voix aux climato-sceptiques. Et les progrès ne s’arrêtent pas là ! En 2016, l’École supérieure de journalisme de Lille et l’Institut Pierre Simon Laplace (qui regroupe les principaux laboratoires français travaillant sur le changement climatique) ont ainsi lancé un MOOC sur le traitement journalistique de l’adaptation à la montée du niveau des mers.
Maud Vandoolaeghe
Pour aller plus loin :
« Antarctique : visualisez l’iceberg géant qui s’est détaché du continent », Gary Dagorn, 12/07/2017, in Le Monde
Entretien de 20 minutes avec Jean Tournadre, chercheur en télédétection pour l’océanographie au laboratoire spatial et interfaces air-mer à l’Ifremer et le climatologue Hervé Le Treut, professeur à l’université Pierre et Marie Curie, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL).
Communicating Climate Change: Discourses, Mediations and Perceptions, ed. Anabela Carvalho, 2009 : http://lasics.uminho.pt/ojs/index.php/climate_change/issue/current/showToc
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